lundi 15 janvier 2018

Ma croisière en Irlande en chiffres : Bilan et perspectives

Ma croisière en quelques chiffres

Je suis parti du 11 juillet au 25 août, soit 45 jours et j’ai parcouru plus de 1 500 miles nautiques au loch, soit environ 2 800 km. Sur cette durée, il faut retrancher cinq jours d’escapade à Dublin pendant lesquels j’ai laissé Sirius au mouillage. Cela fait donc 40 jours de croisière effective, ce qui donne une moyenne de 37,5 miles par jour, un rythme assez soutenu, d'autant que pour laisser passer des coups de vent, je suis resté trois jours à l'abri dans la baie de Glengarriff et trois jours bloqué à Inishmore dans les îles d’Aran)
Je suis monté jusqu’à 55,°24’ Nord et je suis allé  jusqu’au 10°40’ Ouest.
J’ai passé dix nuits en mer.
J’ai atteint les Scilly en deux étapes de 115 miles (Cherbourg-Plymouth, Plymouth St Mary’s). Mes plus longues étapes ont été de 150 miles pour la traversée entre les Scilly et Crookhaven, 150 miles entre Rossaveel et Aranmore, 150 miles (au loch) entre Milford et Newlyn,  130 miles entre Newlyn et Guernesey.
Je suis resté seulement 7 nuits dans des marinas (Plymouth, Rathlin, Bangor, Holyhead, Milford, Newlyn, Beaucette), le reste sur bouée ou à l’ancre.
J’ai passé 10 nuits en mer, dont une fois deux nuits consécutives, entre Milford et Newlyn (auxquelles il faudrait ajouter 3 arrivées de nuit).



Le bilan technique : quelques petits soucis et les leçon que j’en tire

L’aérien de régulateur a cassé mais c’était réparable.

J’avais bien préparé le bateau durant l’hiver. Le gréement, notamment avait été changé (nouvelle bôme, nouveaux haubans, nouvel enrouleur). Malgré cela, l’attache du hale-bas au niveau du mât a lâché avant d’arriver aux Scilly (les rivets  ont sauté, mais j’ai pu reprendre le hale-bas sur une poulie en pied de mât).
Globalement, outre le soucis récurrent de la pale de l’aérien de mon régulateur d’allure qu’il m’a fallu réparer trois fois sur le retour (mais le régulateur a très bien fonctionné et c’est vraiment un plus de l’avoir pour ce genre de traversées), je n’ai pas rencontré de problème majeur durant la croisière.
Cependant, les choses dont je n’avais pas eu le temps de m’occuper avant de partir se sont rappelées à moi.

1/ Je n’avais pas caréné pensant que la coque était encore relativement propre. Mais j’ai constaté dans l’eau transparente de la côte ouest irlandaise que c’était loin d’être le cas. Cela m’a valu d’enfiler ma combi pour gratter la coque quand j’étais ou mouillage aux îles Blasket. Sans bouteille de plongée, j’ai pu nettoyer la ligne de flottaison, les flancs et le fond de la coque, mais pas la quille.
  • Je pense qu’une bouteille de plongée à bord n’est pas un luxe, pour inspecter la coque ou la gratter. C’est même un gage de sécurité en cas de bout pris dans l’hélice (ce qui m’est arrivé devant Land’s End mais, heureusement, mon coupe-orin, une lame montée au bout de l'arbre d’hélice, a été efficace et a tranché le bout).
2/ Je savais que mon système électrique n’était pas optimum, mais il a trouvé ses limites lors de cette navigation en autonomie. Dans ce genre de croisière, on est le plus souvent au mouillage et on peut rarement se brancher à quai. Les batteries chargeaient mal et étaient rapidement trop faibles, ce qui m’a valu de ne pas pouvoir démarrer le moteur aux île d'Arran et de naviguer parfois en mode économie d’énergie (sans allumer la radio et j’ai même dû parfois couper les instruments, ne gardant que la VHF en veille). J’ai pourtant installé des lampes à LED mais les batteries (2 x 70 A) ne sont plus toutes neuves et j’ai fait l’erreur de n’en changer qu’une sur les deux la dernière fois. 
  • J’ai lu un article dans une revue nautique qui explique que les alternateurs montés en standard sont insuffisants pour recharger correctement. C’est un des chantiers de cet hiver : monter 2 batteries au gel + 1 batterie indépendante pour le démarrage moteur et peut-être un “chargeur d’alternateur”.
3 /  Je n’avais pas remis les protection au bout des barres de flèche après le remâtage cet hiver. Du coup, au portant, la grand voile appuyait sur les barres, et j’ai dû faire une réparation provisoire à Holyhead au niveau des zones de ragage avec de l’adhésif pour voile. Pour les même raisons, j’ai un accroc au même endroit sur le génois qui a fatigué à force de battre à l’allure du vent presque arrière et a fait plusieurs fois un coquetier.
  • Je pense qu’en croisière, aux allures très portantes, il ne faut pas hésiter à affaler la grand voile et naviguer sous génois seul, quitte à le tangonner ou à faire passer l’écoute dans une poulie en bout de bôme (en bloquant la bôme avec une retenue de bôme).

Le budget

J’ai dépensé environ
  • 165 euros en marinas et mouillages ;
  • 55 euros de Gazole en route (20 de plus si on compte le complément de plein que j’ai fait à Cherbourg avant de partir) ;
  • 350 euros de courses alimentaires ;
  • 350 dépenses divers en liquide (en cash, pas en bières !)
Cela fait au total, un budget inférieur à 950 euros pour 40 jours, tout compris, soit moins de 25 euros par jour. Et encore, je suis revenu avec beaucoup d’avitaillement non consommé et un demi plein de gazole.

  • Conclusion : la croisière, c’est pas cher. D’ailleurs, le budget n’aurait pas été beaucoup plus élevé à deux ou trois. En revanche, il faut bien le reconnaître, entretenir un bateau à l’année est coûteux. Mais on ne fait pas ce genre de croisière avec un bateau de location… Alors, ça vaut quand même le coup d’être le capitaine de son propre bateau. Et en plus, quelle fierté :-)

 

 Les bonnes surprises


1/ Mon bateau s’est montré à la hauteur.
Certes je ne suis pas objectif et je l’aime, mon Sirius. Mais ce First 28 âgé de 35 ans s’est montré parfaitement à la hauteur de cette croisière semi-hauturière. Bien sûr, il y a eu des moments “chauds”. Mais plus que la force du vent, c’est l’état de la mer qui a posé parfois problème, comme au nord-ouest de l’Irlande, à l’approche d’Aranmore notamment, où j’ai eu une mer assez grosse avec une houle croisée et des vagues qui commençaient à déferler. Un bateau plus gros aurait été plus confortable, mais pas plus sûr.
J’ai eu par moments 35 noeuds au portant et 30 noeuds au près. Dans ces conditions, avec deux ris dans la grand voile et la trinquette arrisée, Sirius taille très bien sa route. Au pire, je peux encore prendre un troisième ris et installer le tourmentin. Je ne me suis jamais senti en insécurité en navigation. D’ailleurs, les progrès de la météo font qu’on est pas pris au dépourvu par une dégradation du temps.
J’avais déjà fait des traversées assez longues (115 miles au retour des Scilly pour rejoindre Roscoff) mais je n’étais jamais resté aussi longtemps à bord et en conditions d’autonomie. Pour la première fois, j’ai dû faire ma toilette à bord, et parfois ma lessive, bref, vivre vraiment à bord. Et ça se fait très bien.  

  • Comme je dis toujours, ce bateau est assez petit pour être mené seul et assez grand pour être habitable. Désormais, je sais qu’il est aussi assez solide et marin pour aller loin et longtemps.


2/ L’ancre légère est hyperfiable
Mon ancre Fortress de 3,2 kg a tenu vaillamment pendant trois jours dans des vents supérieurs à 35 noeuds au mouillage de Kilronan, sur Inishmore, dans les îles d’Aran. C’est censé être une ancre secondaire et j’ai aussi une ancre principale de type CQR de 10 kg montée avec 30 m de chaîne de 8 et 50 m de câblot. Mais je suis un peu obsessionnel de la répartition des poids et je n’aime pas charger le bateau à l’avant.
Selon les études et les tests réalisés par les revues nautiques, c’est moins le poids de l’ancre que l’angle de traction de la ligne de mouillage qui importe pour la bonne tenue. Quand j’ai décidé que la Fortress serait mon ancre principale, j’ai donc ajouté 10 m de chaîne de 8 entre l’ancre et le câblot (un bout lesté de marque Cousin) de 45 m, en ajoutant un plomb de plongée de 2 kg à la jonction entre la chaîne et le bout. L’ancre a toujours croché du premier coup et quand elle croche, elle tient.
Ma seule inquiétude était pour le ragage au niveau du davier. Je n’arrivais pas à maintenir en place les bouts de tuyau d’arrosage dont j’avais entouré le câblot pour le protéger. La gaine a marqué, mais elle a joué son rôle de protection.

  • L’avantage de l’ancre légère, c’est aussi qu’elle est plus facile à remonter quand, comme moi, on n’a pas de guindeau.

Pour bien récupérer, il faut aussi faire des siestes dans la journée.
3/ J’ai su bien gérer mon sommeil
Lors de mes croisière précédentes, je n’avais pas vraiment cherché à gérer mon sommeil car les navigations de nuit étaient exceptionnelles et elles correspondaient généralement à la traversée de la Manche, durant laquelle il faut veiller aux cargos. Je faisais donc globalement des nuits blanches. Mais cette fois, j’ai enchaîné les nuits en mer et je me suis forcé à adopter un sommeil fractionné.Comment ça marche ? Dès qu’on se sent un peu fatigué (et qu’il n’y pas de manœuvre à faire) on se couche confortablement après avoir réglé une alarme et on se concentre pour se détendre (ça semble contradictoire, mais ça marche). Ça peut aider d’avoir de la musique, ainsi on fixe son esprit sur autre chose que la navigation. Quand le réveil sonne, on est tout étonné de se rendre compte qu’on dormait. Ces mini-sommeils peuvent durer 10, 15 ou 20 mn selon la zone, plus ou moins fréquentée dans laquelle on se trouve. On se lève, on contrôle que tout va bien, on fait un tour d’horizon… et on répète l’opération.
Ça permet de traverser la nuit sans que ce soit trop pénible. Au lever du soleil, en général, la fatigue s’évapore, on démarre une nouvelle journée. Mais pour tenir, il faut aussi faire des mini-siestes dès qu’on peu et qu’on en ressent le besoin, que ce soit durant la matinée ou l’après midi.
Quand j’ai dû rester une deuxième nuit en mer, j’étais eu niveau de Land’s End, entre la côte et la zone de séparation de trafic et je ne pouvais pas me permettre de me “mettre en veille”, même brièvement, ce qui fut assez pénible. Mais je pense qu’en gérant relativement bien son sommeil de la sorte (et sans être un pro) on peu enchaîner deux, voir trois nuits sans trop de problèmes.

  • Dans l’idée, ça permettrait de faire une étape de 300 miles d’une traite, voire plus en profitant d’un bon vent portant. Voilà qui ouvre pas mal d'horizons…


4/ Je n’ai pas souffert de la solitude. Je navigue presque toujours en solo, donc ce n’était pas une découverte. Je me sens bien en mer. Mais je craignais de me sentir seul aux escales. Mais en fait, quand on est seul, d’une part on adresse plus facilement la parole aux gens qu’on croise car on a vraiment besoin de parler à quelqu’un et, d’autre part, les autres navigateurs vous invitent volontiers à bord pour boire un verre. Ça m’est arrivé plusieurs fois et j’ai ainsi passé de très agréables soirées et fait de belles rencontres. Je suis navigateur solitaire, mais pas asocial.

  • En fait je pense que quand on est en équipage, on a plutôt tendance à rester entre soi alors que, quand on est seul, on échange davantage avec les autres.  


5/ Je me suis débrouillé à la voile quand le moteur n’a pas voulu démarer
Une des premières fois que j’ai dû me passer de moteur, c’est quand j’habitais en Polynésie et que je me suis fait voler le hors-bord de L’Écume des jours, mon First 22, alors que j’étais en visite à Moorea. J’ai dû rentrer à Tahiti uniquement à la voile, ce qui impliquait de sortir de la passe du lagon de Moorea, rentrer par la passe de Tapuna, sur la côte ouest, et regagner mon ponton au fond de la marina de Taina. Pour pimenter l'exercice, j’étais bien sûr seul à bord, encore une fois. Eh bien on se rend compte que, quand on a pas le choix, on y arrive. Et c’est rassurant.
Quand je n’ai pas pu démarrer mon moteur à Inishmore, j’ai dû faire un départ sur ancre et réussir une prise de coffre à la voile dans 25 noeuds établis. Il fallait absolument que je me rapproche du port pour amener ma batterie à terre afin de la recharger. On n’y arrive pas toujours du premier coup, ça ne se passe pas exactement comme à la parade, on cafouille parfois, mais on finit par y arriver.

  • Quand on a fait tomber un objet flottant à la mer, c’est bien d’en profiter pour faire la manoeuvre de récupération à la voile, c’est ce que j’ai fait pour rattraper ma planchette de pêche. C’est toujours très satisfaisant.  Et en plus, comme récompense, j’ai attrapé deux beau maquereaux. 

Quelques regrets et des idées


Ma trace lors de la "montée" de la côte ouest de l’Irlande.
Tout au nord, j'étais si près de l'Écosse… mais il fallait rentrer
Naviguer, c’est choisir et choisir c’est renoncer. Mes choix ont été dictés par la météo au départ et par le manque de temps sur la fin. Je me suis laissé pousser par les vents qui m’ont amené facilement au sud de l’Irlande. Ensuite, ils étaient favorable pour contourner l’île par l’ouest. J’ai eu globalement du portant jusqu’au nord de l’île.
Une fois arrivé à Rathlin, je voyais l’île d’Islay en Écosse, distante d’à peine 20 miles. Mais il était déjà tard et il me fallait commencer à rentrer. Dommage, ce sera j’espère pour une prochaine fois.
Sur mon parcours, j’ai dû allonger les étapes pour boucler la boucle dans les temps, ce qui m’a obligé à renoncer à certaines escales qui me tentaient bien : la marina de Lawrence’s cove sur l’île de Bere, l’île de Valentia qui a dispose aussi d’une marina agréable et pratique pour visiter, l’île d’Inishbofin, et le Standford loch, une sorte de Golfe du Morbihan irlandais, au sud de Belfast ; je me serais bien arrêté aussi à l’île de Man… Et j’aurais aimé également pourvoir faire escale aux Scilly au retour pour faire une pause avant de retraverser la Manche. Mais pour tout ça, il m'aurait fallu un bon mois  en plus…
La “descente” du Pays de Galles et la “remontée” de la Manche.
C'est déjà un beau parcours en soi.
Il n’y a pas de secret : pour pouvoir faire plus d’escales et prendre le temps d’en profiter, il faut soit aller moins loin, soit partir plus longtemps. Si j’avais été plus raisonnable, j’aurai limité ma croisière au sud et au sud-ouest de l'Irlande en ne remontant pas plus au nord que Valentia ou au maximum les îles d’Arran et/ou Gamway. Puis j’aurais fait demi-tour, ce qui m’aurait permis, sur la route du retour, de visiter les endroits laissés de côté à l’aller.

  • Pour programmer une croisière d'un mois ou plus, voici à mon avis la meilleure stratégie : viser une zone de croisière qu’on veut visiter en la choisissant pas trop étendue et riche en possibilités d’escales intéressantes ; s’y rendre en quelques étapes longues de navigations semi-hauturières pendant une semaine, quitte à passer deux nuits en mer consécutives, et s’arrêter le minimum de temps aux étapes. Faire du cabotage tranquille et du tourisme sur place, puis prendre la route du retour en se laissant une marge d’au moins un tiers de temps en plus par rapport à l’aller soit 10 jours. Ça fait déjà une belle croisière de 4 à 6 semaines, et ça ouvre des zones de navigation distantes de 300 à 500 miles de notre port d’attache.  

Si partir loin est toujours tentant, il faut aussi se souvenir que ce n’est pas la distance qui fait la qualité de la croisière. Il suffit pour s’en convaincre d’entendre les Anglais rencontrés aux escales vous parler de leurs croisières en France avec des étoiles dans les yeux. Nos côtes regorgent de trésors qu’il faut prendre le temps de découvrir. Je m’en suis encore fait la réflexion lors de mon passage à Guernesey juste avant de rejoindre Cherbourg. Les îles Anglo-Normandes sont très accessibles extrêmement dépaysantes et constituent sans doutes une des plus belles zones de navigations du monde. C’est vrai aussi de la Bretagne, nord et sud, sans parler des côtes méditerranéennes et de la Corse. Dans ce cas, en deux semaines de croisière, on fait déjà une belle croisière.







   



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