lundi 15 janvier 2018

Ma croisière en Irlande en chiffres : Bilan et perspectives

Ma croisière en quelques chiffres

Je suis parti du 11 juillet au 25 août, soit 45 jours et j’ai parcouru plus de 1 500 miles nautiques au loch, soit environ 2 800 km. Sur cette durée, il faut retrancher cinq jours d’escapade à Dublin pendant lesquels j’ai laissé Sirius au mouillage. Cela fait donc 40 jours de croisière effective, ce qui donne une moyenne de 37,5 miles par jour, un rythme assez soutenu, d'autant que pour laisser passer des coups de vent, je suis resté trois jours à l'abri dans la baie de Glengarriff et trois jours bloqué à Inishmore dans les îles d’Aran)
Je suis monté jusqu’à 55,°24’ Nord et je suis allé  jusqu’au 10°40’ Ouest.
J’ai passé dix nuits en mer.
J’ai atteint les Scilly en deux étapes de 115 miles (Cherbourg-Plymouth, Plymouth St Mary’s). Mes plus longues étapes ont été de 150 miles pour la traversée entre les Scilly et Crookhaven, 150 miles entre Rossaveel et Aranmore, 150 miles (au loch) entre Milford et Newlyn,  130 miles entre Newlyn et Guernesey.
Je suis resté seulement 7 nuits dans des marinas (Plymouth, Rathlin, Bangor, Holyhead, Milford, Newlyn, Beaucette), le reste sur bouée ou à l’ancre.
J’ai passé 10 nuits en mer, dont une fois deux nuits consécutives, entre Milford et Newlyn (auxquelles il faudrait ajouter 3 arrivées de nuit).



Le bilan technique : quelques petits soucis et les leçon que j’en tire

L’aérien de régulateur a cassé mais c’était réparable.

J’avais bien préparé le bateau durant l’hiver. Le gréement, notamment avait été changé (nouvelle bôme, nouveaux haubans, nouvel enrouleur). Malgré cela, l’attache du hale-bas au niveau du mât a lâché avant d’arriver aux Scilly (les rivets  ont sauté, mais j’ai pu reprendre le hale-bas sur une poulie en pied de mât).
Globalement, outre le soucis récurrent de la pale de l’aérien de mon régulateur d’allure qu’il m’a fallu réparer trois fois sur le retour (mais le régulateur a très bien fonctionné et c’est vraiment un plus de l’avoir pour ce genre de traversées), je n’ai pas rencontré de problème majeur durant la croisière.
Cependant, les choses dont je n’avais pas eu le temps de m’occuper avant de partir se sont rappelées à moi.

1/ Je n’avais pas caréné pensant que la coque était encore relativement propre. Mais j’ai constaté dans l’eau transparente de la côte ouest irlandaise que c’était loin d’être le cas. Cela m’a valu d’enfiler ma combi pour gratter la coque quand j’étais ou mouillage aux îles Blasket. Sans bouteille de plongée, j’ai pu nettoyer la ligne de flottaison, les flancs et le fond de la coque, mais pas la quille.
  • Je pense qu’une bouteille de plongée à bord n’est pas un luxe, pour inspecter la coque ou la gratter. C’est même un gage de sécurité en cas de bout pris dans l’hélice (ce qui m’est arrivé devant Land’s End mais, heureusement, mon coupe-orin, une lame montée au bout de l'arbre d’hélice, a été efficace et a tranché le bout).
2/ Je savais que mon système électrique n’était pas optimum, mais il a trouvé ses limites lors de cette navigation en autonomie. Dans ce genre de croisière, on est le plus souvent au mouillage et on peut rarement se brancher à quai. Les batteries chargeaient mal et étaient rapidement trop faibles, ce qui m’a valu de ne pas pouvoir démarrer le moteur aux île d'Arran et de naviguer parfois en mode économie d’énergie (sans allumer la radio et j’ai même dû parfois couper les instruments, ne gardant que la VHF en veille). J’ai pourtant installé des lampes à LED mais les batteries (2 x 70 A) ne sont plus toutes neuves et j’ai fait l’erreur de n’en changer qu’une sur les deux la dernière fois. 
  • J’ai lu un article dans une revue nautique qui explique que les alternateurs montés en standard sont insuffisants pour recharger correctement. C’est un des chantiers de cet hiver : monter 2 batteries au gel + 1 batterie indépendante pour le démarrage moteur et peut-être un “chargeur d’alternateur”.
3 /  Je n’avais pas remis les protection au bout des barres de flèche après le remâtage cet hiver. Du coup, au portant, la grand voile appuyait sur les barres, et j’ai dû faire une réparation provisoire à Holyhead au niveau des zones de ragage avec de l’adhésif pour voile. Pour les même raisons, j’ai un accroc au même endroit sur le génois qui a fatigué à force de battre à l’allure du vent presque arrière et a fait plusieurs fois un coquetier.
  • Je pense qu’en croisière, aux allures très portantes, il ne faut pas hésiter à affaler la grand voile et naviguer sous génois seul, quitte à le tangonner ou à faire passer l’écoute dans une poulie en bout de bôme (en bloquant la bôme avec une retenue de bôme).

Le budget

J’ai dépensé environ
  • 165 euros en marinas et mouillages ;
  • 55 euros de Gazole en route (20 de plus si on compte le complément de plein que j’ai fait à Cherbourg avant de partir) ;
  • 350 euros de courses alimentaires ;
  • 350 dépenses divers en liquide (en cash, pas en bières !)
Cela fait au total, un budget inférieur à 950 euros pour 40 jours, tout compris, soit moins de 25 euros par jour. Et encore, je suis revenu avec beaucoup d’avitaillement non consommé et un demi plein de gazole.

  • Conclusion : la croisière, c’est pas cher. D’ailleurs, le budget n’aurait pas été beaucoup plus élevé à deux ou trois. En revanche, il faut bien le reconnaître, entretenir un bateau à l’année est coûteux. Mais on ne fait pas ce genre de croisière avec un bateau de location… Alors, ça vaut quand même le coup d’être le capitaine de son propre bateau. Et en plus, quelle fierté :-)

 

 Les bonnes surprises


1/ Mon bateau s’est montré à la hauteur.
Certes je ne suis pas objectif et je l’aime, mon Sirius. Mais ce First 28 âgé de 35 ans s’est montré parfaitement à la hauteur de cette croisière semi-hauturière. Bien sûr, il y a eu des moments “chauds”. Mais plus que la force du vent, c’est l’état de la mer qui a posé parfois problème, comme au nord-ouest de l’Irlande, à l’approche d’Aranmore notamment, où j’ai eu une mer assez grosse avec une houle croisée et des vagues qui commençaient à déferler. Un bateau plus gros aurait été plus confortable, mais pas plus sûr.
J’ai eu par moments 35 noeuds au portant et 30 noeuds au près. Dans ces conditions, avec deux ris dans la grand voile et la trinquette arrisée, Sirius taille très bien sa route. Au pire, je peux encore prendre un troisième ris et installer le tourmentin. Je ne me suis jamais senti en insécurité en navigation. D’ailleurs, les progrès de la météo font qu’on est pas pris au dépourvu par une dégradation du temps.
J’avais déjà fait des traversées assez longues (115 miles au retour des Scilly pour rejoindre Roscoff) mais je n’étais jamais resté aussi longtemps à bord et en conditions d’autonomie. Pour la première fois, j’ai dû faire ma toilette à bord, et parfois ma lessive, bref, vivre vraiment à bord. Et ça se fait très bien.  

  • Comme je dis toujours, ce bateau est assez petit pour être mené seul et assez grand pour être habitable. Désormais, je sais qu’il est aussi assez solide et marin pour aller loin et longtemps.


2/ L’ancre légère est hyperfiable
Mon ancre Fortress de 3,2 kg a tenu vaillamment pendant trois jours dans des vents supérieurs à 35 noeuds au mouillage de Kilronan, sur Inishmore, dans les îles d’Aran. C’est censé être une ancre secondaire et j’ai aussi une ancre principale de type CQR de 10 kg montée avec 30 m de chaîne de 8 et 50 m de câblot. Mais je suis un peu obsessionnel de la répartition des poids et je n’aime pas charger le bateau à l’avant.
Selon les études et les tests réalisés par les revues nautiques, c’est moins le poids de l’ancre que l’angle de traction de la ligne de mouillage qui importe pour la bonne tenue. Quand j’ai décidé que la Fortress serait mon ancre principale, j’ai donc ajouté 10 m de chaîne de 8 entre l’ancre et le câblot (un bout lesté de marque Cousin) de 45 m, en ajoutant un plomb de plongée de 2 kg à la jonction entre la chaîne et le bout. L’ancre a toujours croché du premier coup et quand elle croche, elle tient.
Ma seule inquiétude était pour le ragage au niveau du davier. Je n’arrivais pas à maintenir en place les bouts de tuyau d’arrosage dont j’avais entouré le câblot pour le protéger. La gaine a marqué, mais elle a joué son rôle de protection.

  • L’avantage de l’ancre légère, c’est aussi qu’elle est plus facile à remonter quand, comme moi, on n’a pas de guindeau.

Pour bien récupérer, il faut aussi faire des siestes dans la journée.
3/ J’ai su bien gérer mon sommeil
Lors de mes croisière précédentes, je n’avais pas vraiment cherché à gérer mon sommeil car les navigations de nuit étaient exceptionnelles et elles correspondaient généralement à la traversée de la Manche, durant laquelle il faut veiller aux cargos. Je faisais donc globalement des nuits blanches. Mais cette fois, j’ai enchaîné les nuits en mer et je me suis forcé à adopter un sommeil fractionné.Comment ça marche ? Dès qu’on se sent un peu fatigué (et qu’il n’y pas de manœuvre à faire) on se couche confortablement après avoir réglé une alarme et on se concentre pour se détendre (ça semble contradictoire, mais ça marche). Ça peut aider d’avoir de la musique, ainsi on fixe son esprit sur autre chose que la navigation. Quand le réveil sonne, on est tout étonné de se rendre compte qu’on dormait. Ces mini-sommeils peuvent durer 10, 15 ou 20 mn selon la zone, plus ou moins fréquentée dans laquelle on se trouve. On se lève, on contrôle que tout va bien, on fait un tour d’horizon… et on répète l’opération.
Ça permet de traverser la nuit sans que ce soit trop pénible. Au lever du soleil, en général, la fatigue s’évapore, on démarre une nouvelle journée. Mais pour tenir, il faut aussi faire des mini-siestes dès qu’on peu et qu’on en ressent le besoin, que ce soit durant la matinée ou l’après midi.
Quand j’ai dû rester une deuxième nuit en mer, j’étais eu niveau de Land’s End, entre la côte et la zone de séparation de trafic et je ne pouvais pas me permettre de me “mettre en veille”, même brièvement, ce qui fut assez pénible. Mais je pense qu’en gérant relativement bien son sommeil de la sorte (et sans être un pro) on peu enchaîner deux, voir trois nuits sans trop de problèmes.

  • Dans l’idée, ça permettrait de faire une étape de 300 miles d’une traite, voire plus en profitant d’un bon vent portant. Voilà qui ouvre pas mal d'horizons…


4/ Je n’ai pas souffert de la solitude. Je navigue presque toujours en solo, donc ce n’était pas une découverte. Je me sens bien en mer. Mais je craignais de me sentir seul aux escales. Mais en fait, quand on est seul, d’une part on adresse plus facilement la parole aux gens qu’on croise car on a vraiment besoin de parler à quelqu’un et, d’autre part, les autres navigateurs vous invitent volontiers à bord pour boire un verre. Ça m’est arrivé plusieurs fois et j’ai ainsi passé de très agréables soirées et fait de belles rencontres. Je suis navigateur solitaire, mais pas asocial.

  • En fait je pense que quand on est en équipage, on a plutôt tendance à rester entre soi alors que, quand on est seul, on échange davantage avec les autres.  


5/ Je me suis débrouillé à la voile quand le moteur n’a pas voulu démarer
Une des premières fois que j’ai dû me passer de moteur, c’est quand j’habitais en Polynésie et que je me suis fait voler le hors-bord de L’Écume des jours, mon First 22, alors que j’étais en visite à Moorea. J’ai dû rentrer à Tahiti uniquement à la voile, ce qui impliquait de sortir de la passe du lagon de Moorea, rentrer par la passe de Tapuna, sur la côte ouest, et regagner mon ponton au fond de la marina de Taina. Pour pimenter l'exercice, j’étais bien sûr seul à bord, encore une fois. Eh bien on se rend compte que, quand on a pas le choix, on y arrive. Et c’est rassurant.
Quand je n’ai pas pu démarrer mon moteur à Inishmore, j’ai dû faire un départ sur ancre et réussir une prise de coffre à la voile dans 25 noeuds établis. Il fallait absolument que je me rapproche du port pour amener ma batterie à terre afin de la recharger. On n’y arrive pas toujours du premier coup, ça ne se passe pas exactement comme à la parade, on cafouille parfois, mais on finit par y arriver.

  • Quand on a fait tomber un objet flottant à la mer, c’est bien d’en profiter pour faire la manoeuvre de récupération à la voile, c’est ce que j’ai fait pour rattraper ma planchette de pêche. C’est toujours très satisfaisant.  Et en plus, comme récompense, j’ai attrapé deux beau maquereaux. 

Quelques regrets et des idées


Ma trace lors de la "montée" de la côte ouest de l’Irlande.
Tout au nord, j'étais si près de l'Écosse… mais il fallait rentrer
Naviguer, c’est choisir et choisir c’est renoncer. Mes choix ont été dictés par la météo au départ et par le manque de temps sur la fin. Je me suis laissé pousser par les vents qui m’ont amené facilement au sud de l’Irlande. Ensuite, ils étaient favorable pour contourner l’île par l’ouest. J’ai eu globalement du portant jusqu’au nord de l’île.
Une fois arrivé à Rathlin, je voyais l’île d’Islay en Écosse, distante d’à peine 20 miles. Mais il était déjà tard et il me fallait commencer à rentrer. Dommage, ce sera j’espère pour une prochaine fois.
Sur mon parcours, j’ai dû allonger les étapes pour boucler la boucle dans les temps, ce qui m’a obligé à renoncer à certaines escales qui me tentaient bien : la marina de Lawrence’s cove sur l’île de Bere, l’île de Valentia qui a dispose aussi d’une marina agréable et pratique pour visiter, l’île d’Inishbofin, et le Standford loch, une sorte de Golfe du Morbihan irlandais, au sud de Belfast ; je me serais bien arrêté aussi à l’île de Man… Et j’aurais aimé également pourvoir faire escale aux Scilly au retour pour faire une pause avant de retraverser la Manche. Mais pour tout ça, il m'aurait fallu un bon mois  en plus…
La “descente” du Pays de Galles et la “remontée” de la Manche.
C'est déjà un beau parcours en soi.
Il n’y a pas de secret : pour pouvoir faire plus d’escales et prendre le temps d’en profiter, il faut soit aller moins loin, soit partir plus longtemps. Si j’avais été plus raisonnable, j’aurai limité ma croisière au sud et au sud-ouest de l'Irlande en ne remontant pas plus au nord que Valentia ou au maximum les îles d’Arran et/ou Gamway. Puis j’aurais fait demi-tour, ce qui m’aurait permis, sur la route du retour, de visiter les endroits laissés de côté à l’aller.

  • Pour programmer une croisière d'un mois ou plus, voici à mon avis la meilleure stratégie : viser une zone de croisière qu’on veut visiter en la choisissant pas trop étendue et riche en possibilités d’escales intéressantes ; s’y rendre en quelques étapes longues de navigations semi-hauturières pendant une semaine, quitte à passer deux nuits en mer consécutives, et s’arrêter le minimum de temps aux étapes. Faire du cabotage tranquille et du tourisme sur place, puis prendre la route du retour en se laissant une marge d’au moins un tiers de temps en plus par rapport à l’aller soit 10 jours. Ça fait déjà une belle croisière de 4 à 6 semaines, et ça ouvre des zones de navigation distantes de 300 à 500 miles de notre port d’attache.  

Si partir loin est toujours tentant, il faut aussi se souvenir que ce n’est pas la distance qui fait la qualité de la croisière. Il suffit pour s’en convaincre d’entendre les Anglais rencontrés aux escales vous parler de leurs croisières en France avec des étoiles dans les yeux. Nos côtes regorgent de trésors qu’il faut prendre le temps de découvrir. Je m’en suis encore fait la réflexion lors de mon passage à Guernesey juste avant de rejoindre Cherbourg. Les îles Anglo-Normandes sont très accessibles extrêmement dépaysantes et constituent sans doutes une des plus belles zones de navigations du monde. C’est vrai aussi de la Bretagne, nord et sud, sans parler des côtes méditerranéennes et de la Corse. Dans ce cas, en deux semaines de croisière, on fait déjà une belle croisière.







   



vendredi 29 décembre 2017

Le retour (seconde partie)

De Milford Haven à Cherbourg

(Le retour, suite et fin)


Le port de Milford, bien abrité, était une base importante pour la pêche. Quelques pêcheurs perpétuent la tradition, mais la plupart des chalutiers ont cédé la place aux bateaux de plaisance.

Milford Haven, 18 août 2017


Après une navigation longue et difficile, c’est toujours étonnant de constater la rapidité avec laquelle on tourne la page une fois arrivé au port. Après quelques heure de sommeil, je me suis levé presque frais pour attaquer les tâches qui s’imposent. Tout d’abord : trouver un moyen de réparer la pale de mon régulateur d’allure. À la capitainerie de la marina, l’accueil est très cordial et on me conseille de m’adresser au shipchandler qui a un petit atelier de réparation. J’explique donc mon problème au magasin de Windjammer. John m’explique qu’ils sont très occupés mais qu’il peut mettre son atelier à ma disposition, avec tous les outils, et me fournir le bois et la visserie dont je pourrais avoir besoin. Je ne me le fais pas dire deux fois. À moi de jouer ! Un morceau de contreplaqué découpé à la scie sauteuse, quelques trous percés et me voici avec une nouvelle pale confectionnée de mes mains ! Le tout est terminé avant midi. En guise de paiement, John n’accepte que quelques livres pour le bois et les vis. Merci John !


Extrait du journal de bord 
“C’est toujours quand on a des problèmes à régler qu’on rencontre des gens super sympas prêts à vous aider. À part ça, Milford est une escale intéressante avec son musée, ses calèches et ses maisons colorées. Et son terminal gazier géant.”

Le musée occupe un des plus vieux bâtiments de la ville. Il est animé par une équipe de bénévoles très sympathiques.


L’esprit plus tranquille (car il était indispensable que je puisse me reposer sur le régulateur pour le reste du voyage, sans quoi j’aurais dû rester à la barre tout le temps ou faire fonctionner le pilote, très gourmand en électricité) j’ai pu revenir au bateau, déjeuner et m’accorder une petite sieste. Après une nuit de navigation, multiplier les petits sommes, c’est encore le meilleur moyen de récupérer sans être trop décalé.
Nelson n’est venu qu’une fois à Milford, du temps où la ville se rêvait en point de départ des liaisons vers l’Amérique. Mais on s’en souvient encore.

Après une bonne douche à la marina (les installations sont impeccables), je me suis baladé autour du bassin. La vue sur la rivière, balayée par de violentes rafales qui créent un vilain clapot court, me fait  apprécier encore plus d’être bien à l’abri et au ponton. J’ai, ensuite, fait quelques courses d’approvisionnement au grand supermarché Tesco qui est facilement accessible à pied depuis la marina. En rentrant avec mes courses, je vois un bateau français à quai qu’il me semble reconnaître. Je m’approche… mais oui ! c’est bien Laureline, le voilier des Cherbourgeois que j’ai rencontrés quelques jours plus tôt à Rathlin. Je leur laisse un Post-it leur proposant de nous retrouver à bord de Sirius le soir même pour l’apéro.
Alors que je vais à la capitainerie régler ma note, je croise l’équipage de Laureline qui rentre d’une expédition en bus vers la cathédrale de St David. Ils se rendent au pub à l’étage de la marina ; je décide donc de les accompagner pour leur offrir une pinte. Après quelques tournées, me voilà invité à leur bord pour une choucroute ! Je dois reconnaître que Laureline est incomparablement plus accueillante et plus confortable que Sirius. Une soirée très agréable à échanger nos impressions de l’Irlande. Hélène me montre ses aquarelles, Manu me raconte son expédition au Spitzberg l’année précédente, Anaïs me détaille le contenu de l’équipet à épices du bord qui contient quelques raretés héritées des escales nordiques et des différents équipiers qui se sont succédé à bord. Un excellente soirée. Eux larguent les amarres le lendemain matin à l’aube avec la marée haute. Moi, je ne sais pas. J’hésite, car le vent est encore annoncé fort jusqu’au lendemain soir … Au dodo ! Un vrai sommeil d’une traite au calme. La nuit portera conseil…
Mariage en calèche.


Le lendemain, le soleil est revenu. J’en profite pour prendre le temps de visiter. Le musée est intéressant et animé par des bénévoles. Il retrace l’histoire de la ville, depuis le projet d’en faire un point de départ pour les transatlantiques jusqu’au boum de la construction du terminal gazier, en passant par la grande époque de la pêche. Je déjeune d’un fish and chips à emporter sur la marina (je recommande cette adresse, le Gordon Bennett’s, c’est très bon) et je me promène dans la ville haute. Je me sens reposé, en forme. Je décide de sortir à la marée haute de l’après-midi.

Le passage de l’écluse de Milford Maria.


Infos pratiques
  • La marina de Milford fait partie du réseau Passeport Escales, ce qui m’a permis de ne rien payer pour la nuit au ponton. Les installations sont du meilleur niveau et le personnel très sympathique et compétent. Pour le carburant, on peut soit faire le plein au ponton, soit, si c’est juste pour un petit complément, laisser un jerrycan au bureau de la marina ; un employé se charge de le remplir pour vous dans la journée.
  • Je conseille vivement le shipchandler Windjammer qui est bien achalandé et qui trouvera toujours une solution à votre problème. Ils assurent aussi un stockage des bateaux à terre. Il y a également un magasin d’électronique marine sur la marina
  • La proximité du grand Tesco (il suffit de longer le bassin et de passer sous la bretelle routière) fait de Milford une escale idéale pour l’approvisionnement. Il y a aussi un magasin de vêtements et d’objets d’occasion face au supermarché. Pour acheter du pain frais ou se faire un goûter chez un vrai boulanger, on peut monter en ville. The Welsh Bakery vaut le détour (merci aux Laureline pour l’adresse).
  • Le musée vaut vraiment la visite. Il y a même une section sur la chasse à la baleine !
Le terminal gazier de Milford et son navire géant qui amène le gaz du Quatar.

De Milford Haven à Newlyn

Départ le samedi 19 août à 17:00, arrivée le lundi 21 à 6:00.  Distance : 125 miles. 


J’ai donc largué les amarres pour partir avec la pleine mer de l’après-midi. Les portes de l’écluse étaient grandes ouvertes. Dans la rivière, ça soufflait fort et de face. J’ai mis une bonne heure pour remonter jusqu’à la sortie. J’avais préparé mon étai largable pour envoyer la trinquette car, sur cette étape vers la pointe de la Cornouailles, la météo me promet encore du près dans une bonne brise.
J’attends d’être au cap pour envoyer ma voile d’avant, mais il y a déjà pas mal de houle à la sortie et je cafouille pour frapper mes écoutes sur la trinquette avec un ris, ce qui me vaut de me faire rincer par les vagues à l’avant. Enfin, me voilà parti. Le régulateur d’allure est en service. J’ai 110 miles à parcourir sans obstacle jusqu’à Land’s End. Malheureusement, le vent est au sud-ouest et ne me permet pas de faire route directe au 195°, mon cap est plutôt sud. J’avais pensé un moment repasser par les îles Scilly avant de rentrer mais c’est impossible avec ce vent.
Dans la nuit, le vent refuse (il vient progressivement plus sud-sud-est, ce qui m’est moins favorable) mais au moins il baisse un peu en force, comme annoncé. Au matin, je fais route au 190°, au sud-sud-ouest, c’est-à-dire qu’au lieu de longer la côte nord de la Cornouailles, je m’en rapproche. Si je continue sur ce bord, je me dirige droit sur le port de Padstow. Je n’ai plus beaucoup de temps. Il faut que je sois à Cherbourg vers le 25 août et je ne peux plus multiplier les étapes. En plus, la météo annonce un jour ou deux de vent d’ouest, pour le début de la semaine prochaine. Si je suis encore sur la côte nord de la Cornouailles à ce moment-là, ça va me bloquer pour passer le cap. En revanche, si j’ai réussi à passer le cap avant, ça sera super favorable pour remonter la Manche jusqu’à Cherbourg. Je décide donc de virer de bord et de poursuivre cette étape pour arriver jusqu’à Penzance.
Le soir, le vent repasse sud-ouest. Le bord précédent m’a décalé vers l’ouest et en mettant cap au sud, je fais désormais route directe pour Land’s End. La question est maintenant de savoir si je pourrai passer ce grand cap à la pointe de la Conrouailles avec le courant. D’après mes calculs, je devrais y être vers 21:00, sur la fin du courant portant. Suspense…
Et puis, j’oubliais, dans l’après-midi, la pale de mon régulateur d’allure, ce beau bout de contreplaqué que j’ai façonné à Milford, a décidé de casser sa fixation dans son support. La brise était trop forte pour les colliers serreflex que j’avais utilisés comme solution de fortune. Heureusement, au près, Sirius avance très bien tout seul barre amarrée.


Je suis au niveau du phare de Longships au coucher du soleil. Le courant ralentit, devient nul, puis commence à s’inverser. Je tente de forcer au moteur mais je réalise assez vite que ça ne passera pas. Une heure plus tôt, je franchissais le cap, mais me voila condamné à passer une deuxième nuit en mer. Grosse fatigue et sale coup au moral. Je manœuvre pour me mettre en position d’attendre la renverse en perdant le moins de terrain possible. Je m’énerve et fais pas mal de bêtises. Une écoute passe à l’eau et se prend dans mon hélice. Heureusement, le coupe orin joue son rôle et tranche le bout. Ne pas être manœuvrant dans ce coin-là n’est clairement pas une option : à bâbord, j’ai un méchant cap frangé de rochers dangereux, à tribord, la zone de séparation de trafic qui canalise les cargos franchissant le cap dans les deux sens. Pas moyen d’aller se coucher une minute, il faut rester constamment vigilant. Je prends mon mal en patience. Je suis sous grand voile seule et moteur à bas régime sous pilote automatique ; je me recale au moteur quand la dérive me rapproche trop de la zone de séparation du trafic. Au moins, la mer est plutôt calme. Je combats le froid, la nuit et la fatigue en buvant chaud. J’écoute les messages des cargos sur la VHF.
Vers 4 heures du mat’, le courant commence à s’inverser.  Je peux enfin me remettre en route pour entrer dans la grande baie de Penzance. À ce stade, tout est bon pour raccourcir le chemin qui me reste. Je décide de viser le port de Newlyn, un peu plus proche et accessible à toute heure de la marée, plutôt que celui de Penzance que je connais déjà pour y être passé en croisière avec France Voiles Loisirs et qui est fermé par une écluse à marée basse.
Je suis vraiment crevé et l’approche me semble interminable. Le lever de l’aube me redonne un peu de pep’s pour préparer l’arrivée dans ce port inconnu. Je mets du temps à comprendre où est la passe derrière cette longue digue. J’entre au ralenti dans ce port de pêche où, dit-on dans les guides, la plaisance est tolérée sur une partie d’un ponton. Alors que je m’apprête à m’engager dans la panne où j’ai repéré une place entre des voiliers, je vois surgir l’étrave d’un énorme chalutier qui sort. Il me domine de toute sa hauteur. Je fais marche arrière toute… et ça passe. Le patron pêcheur m’incendie car il n’a pas vu mes “fucking lights” (mes p… de feux de navigations). Pour économiser de l’électricité, j’ai allumé mes feux en tête de mât qui fonctionnent avec des ampoules à LED alors que lui regardait à la proue de mon bateau… Note pour une prochaine fois : toujours repasser sur les feux “normaux” à l’approche d’un port.
Après ce dernier gros coup de stress, je m’amarre au ponton. Je suis cramé de fatigue. J’aurais passé 37 heures en mer. Je n’ai jamais fait d’étape aussi longue. Je m’offre un deuxième ou troisième petit-déj’ (je ne compte plus…) je m’effondre dans ma couchette.


Lundi 21 août

Sirius au ponton à Newlyn, à marée basse.




Après quelques heures de sommeil, je me lève en fin de matinée pour attaquer ma mission du jour : une fois de plus, trouver un moyen de re-re-réparer ma pale de régulateur d’allure. Pour ça, je me rends à la capitainerie ou plutôt au bureau du port de pêche. La charmante dame qui m’accueille me confirme que je peux rester au ponton où je me suis amarré et me donne la clé de l’unique douche. Le local est sombre, vétuste et pas des plus propres ; il faut mettre une pièce d’une livre dans le monnayeur pour avoir de l’eau chaude mais, après une nuit comme celle que je viens de passer, cette douche est une bénédiction.


Alors que je rends la clé au comptoir, une femme passe au bureau et, m’entendant expliquer ma quête d’un atelier équipé d’outils pour ma réparation, elle s’exclame : «Mais vous pouvez venir chez nous ! Mon mari est luthier, il répare toutes sortes d’instruments. Il a sûrement ce qu’il vous faut.» Encore une rencontre inespérée. Rendez-vous est pris. La dame et son mari tiennent une jolie pension avec vue sur la baie qui s’appelle opportunément Harbour View. Je m’y rends en début d’après-midi et le luthier coupe la pale à sa base qui était endommagée. Un peu plus courte elle fera encore très bien l’affaire. Il suffit alors de repercer les trous. Le tour est joué.  Il ne lui a fallu que quelques minutes. L’homme refuse tout paiement. Les Britanniques sont décidément des gens adorables.

The Harbour View, abrite un bed and breakfast… et un atelier de luthier. Merci pour le coup de main !
Ce soucis réglé, je découvre un peu la ville, fais quelques courses et me balade sur la promenade du bord de mer qui relie Newlyn à Penzance. En fin d’après-midi, la baie est peu à peu recouverte par une brume qui vient de la mer. Je me couche tôt pour récupérer.






Mardi 22 août

Le lendemain, il fait grand beau. Pas un souffle. Je décide de rester une nuit de plus pour profiter de la journée et attendre le retour du vent favorable. Je m’arrange avec le bureau du port pour remplir deux jerrycans de gazole.
Le midi, je constate que nous sommes désormais quatre voiliers français au ponton. L’un est arrivé la veille au soir dans le brouillard. En discutant avec les uns et les autres, je propose que nous nous retrouvions le soir au pub pour l’apéro.
L’après-midi, je profite du soleil pour faire une balade photographique dans les ruelles de la ville. Je termine par une visite du centre d’art, intéressant, qui offre une très belle vue sur la baie. 
Le soir, comme convenu, nous nous retrouvons entre équipages français à partager quelques tournées de pintes. Chacun raconte sa croisière. Certains rentrent d’Irlande, d’autres d’Écosse. Incidemment, je découvre qu’un des gars est originaire du même village que moi. Michel et Michel, les deux copains qui naviguent sur Flying Chaos, un beau Selection 37 amarré à couple de Sirius, m’annoncent leur intention de partir le lendemain à l’aube. Ça tombe bien, moi aussi.

Extrait du journal de bord
“La Cornouailles anglaise était la destination la plus lointaine de mes dernières croisières. Cette fois, j’arrive ici venant du Nord de l’Irlande, et je me dis que je suis presque arrivé…”

Newlyn abrite une flotte de vieux bateaux de pêche qui ont fière allure dans leur livrée jaune et noire.

Le port depuis les hauteurs de la ville.

La vieille église.

La Newlyn art gallery et son café avec vue.

Pique-nique sur la pelouse du centre d’art, face à la baie.

Le climat est doux en Cornouailles. Yuccas, fuchsias, toutes les plantes y poussent.









Infos pratiques
  • Newlyn est un port de pêche actif. Les installations pour la plaisance sont réduites. Un pêcheur peut vous demander de bouger de place. Il n’y a qu’une douche (demander la clé au bureau) et pas de toilettes, en dehors des toilettes publiques qui sont dans le prolongement de la digue en direction de la ville. Mais l’accueil est chaleureux, les tarifs très raisonnables. Attention aux grands tirants d’eau, il n’y a pas beaucoup de fond à marée basse !
  • On peut acheter du carburant, mais uniquement en remplissant des jerrycans. Il faut demander au bureau du port. Pas des plus pratiques mais le prix est imbattable. Je me souviens avoir payé moitié moins cher qu’ailleurs. Je crois qu’ils appliquent le tarif réservé aux pêcheurs.
  • Pour le ravitaillement, il y a un grand supermarché Lidl à la sortie de la ville en direction de Penzance. À savoir : à partir de 17:00, les pâtisseries bradent les gâteaux du jour, ça vaut la peine.
  • Pour les amateurs de glaces, il ne faut surtout pas manquer Jelbert’s, au 2 New Road, la route qui mène à Penzance. Le magazine How To Spend It, du Finacial Times,  demande “Y a-t-il une meilleure crème glacée sur la planète ?” C’est une boutique familiale où on fabrique une crème glacée toute simple, sans parfum, mais avec la possibilité d’un bonus de crème fouettée. Je recommande fortement. Je me demande si ce n’est pas la vraie raison qui m’a fait rester un jour de plus…



De Newlyn à Beaucette (Guernesey)

Départ mercredi 23 août à 6:30, arrivée jeudi 24 à 16:00. Distance : 120 miles.

Le St Michael’s Mont au fond de la baie. Il faudra que j’aille visiter la prochaine fois…



Le soleil se lève et moi aussi. Comme convenu, Flying Chaos file ses amarres et se met en route direction la Bretagne. Je le suis de peu à la sortie du port. C’est la pleine mer, la baie est calme. J’aperçois le St Michael’s Mont au loin, le Mont-Saint-Michel de la Cornouailles anglaise. Je hisse les voiles et je m’aide au moteur, car je veux passer le cap Lizard avec le courant. J’y arrive comme prévu vers midi. Le vent forcit et il vient de l’ouest, comme prévu. Enfin du portant ! J’envoie mon spi asymétrique mais, dans les rafales, le régulateur n’arrive pas à tenir le cap et je pars au lof. Il y a des cargos au mouillage assez au large et je ne veux pas prendre de risque. J’affale (assez mal : le spi passe à l’eau avant que je puisse le récupérer) et tangonne le génois. Passé la zone d’accélération près du cap, le vent mollit, je finis par envoyer mon spi symétrique que je n’ai encore jamais essayé. Il est un peu petit pour le bateau, mais il tire dans le bon sens et le régulateur s’en accommode parfaitement. Je file plein est peinard, sans toucher à rien.

Mon petit spi symétrique, sorti pour la première fois.

La nuit tombe. Je veille aux cargos qui ne me causeront pas d’inquiétude. Je traverse les rails en diagonale sans avoir à modifier mon cap. En revanche, quelques bateaux de pêche me causeront plus de soucis avec leurs changements erratiques de direction. Globalement, je passe une nuit assez tranquille, de plus en plus tranquille même, car à l’aube, le vent tombe complètement et mon spi avec. Je le récupère, sans le mouiller cette fois, et lance le moteur. Je suis encore à une cinquantaine de miles à l’ouest des Casquets. Je regarde les horaires des marées et décide que le mieux est de viser le nord de Guernesey, le courant va, de toute façon, m’y pousser en fin de matinée. Je lance le moteur et branche le pilote automatique, cap à l’est sud-est pour un long bord bruyant mais reposant. Heureusement, j’ai fait le plein à Newlyn !

Le soleil se lève et le vent part se coucher.
J’arrive, comme prévu, à la pointe nord de Guernesey sur la fin du courant portant, ce qui me permet de me présenter devant l’entrée de la marina de Beaucette où je demande par VHF s’ils ont une place pour moi. Ils en ont une. La marée est remontée suffisamment, il y a assez d’eau sur le seuil qui ferme cette ancienne carrière immergée et transformée en marina privée. J’entre et me voilà au ponton le long de la roche nue. Tout est calme, il fait beau. Serait-ce enfin l’été ?

Le spi est plié et Sirius amarré le long de la roche.

La marina de Beaucette, petit trou creusé dans la roche au nord de Guernesey.

L’après-midi, je me suis reposé un peu, j’ai réglé mon arrivée à la capitainerie (il faut toujours remplir le formulaire jaune quand on entre dans les Anglo-Normandes) et me suis baladé. En partant de la marina, il y a un sentier côtier qui mène aux plages de l’Ancresse Bay/Pembroke Bay (deux noms pour les deux côtés d’une même baie) au nord de l’île. La mer était basse et les estivants profitaient du soleil de fin d’après-midi. Je me suis accordé une glace et suis rentré par les chemins de l’intérieur des terres.
J’ai longé de curieuses friches agricoles : de grandes serres abandonnées dans lesquelles on cultivait des fleurs il n’y a pas si longtemps, aujourd’hui envahies de lianes et de végétation qui les remplissent littéralement jusqu’au toit. Il faut croire que la finance offshore a remplacé l’horticulture comme activité principale de l’île…





















De retour à la marina, j’ai bu une bière sur la terrasse du pub qui domine le bassin et qui offre un assez bon Wi-Fi. Bref, j’ai profité de la vie avec le sentiment que, cette fois, ma croisière touche vraiment à sa fin. Le lendemain, je serai à Cherbourg.

De Beaucette (Guernesey) à Cherbourg

Départ le vendredi 25 août vers 9h00, arrivée à Cherbourg vers 23:30  





Je me suis mis en route pour la dernière étape vers la mi marée montante pour qu’il y ait assez d’eau sur le seuil qui barre la sortie de la marina. Le vent était très faible et ne me permettait pas de faire route directe vers la Hague. Après quelques essais infructueux pour porter le génois efficacement, j’ai poursuivi sous grand voile et moteur. Le passage du raz Blanchard fut, comme toujours, agité avec les impressionnants remous que forme le courant à l’approche du phare. Je suis passé au plus court mais je n’avais pas progressé assez vite et je me suis retrouvé en début de courant contraire après avoir passé le cap. Un classique. Je sais, par expérience, qu’il est vain d’insister contre le courant dans le secteur et je me suis sagement dirigé vers la baie de Saint-Martin pour attendre la renverse. Un déjeuner tranquille et une petite sieste ne me feraient pas de mal. J’ai trouvé un corps mort et m’y suis amarré.

Quelques heures plus tard, impatient de rentrer j’ai quitté la bouée… pour me rendre compte que le courant était encore loin d’être favorable. Comme je savais que ce serait une des dernières belles journées de navigation avant un bout de temps, je me suis amusé à essayer de perdre le moins de terrain possible en naviguant sous voiles seules. Au bout de deux heures, j’avais reculé de 5 miles. Le vent était tombé presque totalement. J’ai remis un peu de moteur et, quand le courant est enfin redevenu favorable, j’ai mis plus d’une heure à regagner le terrain perdu.
Il était finalement 23:30 quand je suis arrivé à ma place au ponton. Sirius retrouvait Cherbourg après un mois et demi d’aventures. Merci à mon bateau de m’avoir ainsi transporté, abrité et protégé, d’avoir encaissé les coups de vents et la grosse mer, de m’avoir pardonné mes erreurs et d’avoir si joyeusement dansé sur les vagues quand les conditions étaient bonnes. On a fait un beau bout de chemin ensemble. Tu t’es si bien occupé de moi, maintenant, c’est à mon tour de prendre soin de toi.


mercredi 6 septembre 2017

Le retour (première partie) : de Rathlin à Milford Haven







La (longue) route du retour



Une fois arrivé tout en haut de l’Irlande, “il n’y a plus qu’à redescendre”. Ça représente quand même plus de 500 km vers le sud jusqu’à la pointe de la Cornouailles, puis 300 km vers l’est jusqu’à Cherbourg soit en gros 500 miles nautiques au total. En ligne droite… or à la voile, on a plutôt tendance à faire des zigzags.  J’ai dû composer avec un vent du sud qui m’a obligé à faire du près pendant toute la descente de la mer d’Irlande, dans des conditions parfois assez musclées et face à des courants difficiles à négocier aux passages des grands caps. Je pensais pouvoir rentrer en une petite dizaine de jours, il m’a fallu deux semaines bien éprouvantes, alors que la fatigue commençait à se faire sentir. Ma “longue route” à moi…  

 De Rathlin à Bangor

Départ le vendredi 11 août à 10:00, arrivée le même jour à 17:00.

La veille de mon départ, j’ai rencontré l’équipage de Laureline, un bel Ovni (c’est une marque de voiliers en aluminium, pas une soucoupe volante) qui m’a invité à boire une bière à bord. J’ai ainsi fait la connaissance de Emmanuel, Hélène et Anaïs, et j’ai passé avec eux une soirée très sympathique durant laquelle nous avons évoqué nos parcours respectifs autour de l’Irlande et leurs navigations les années passées, jusqu’au Spitzberg, dans l’Arctique. 
Je suis parti le matin et j’ai traversé le bras de mer entre Rathlin et l’Ulster avec très peu de vent, mais 4 nœuds de courant, heureusement favorable.  Je me suis appliqué à avancer à la voile en exploitant au mieux les petites brises évanescentes et à la direction changeante. Mais entre le port industriel de Larne et les deux phares de Maidens, le vent est tombé tout à fait et j’ai du poursuivre au moteur. Je n’ai retrouvé du vent que dans la baie de Belfast, mais pile de face alors que je visais la marina de Bangor. Il ne fallait pas traîner si je ne voulais pas être freiné par la renverse du courant. Ce fut donc du moteur jusqu’au bout et je suis arrivé en milieu d’après-midi dans cette station balnéaire à une demi-heure de Belfast.
Les falaises du nord de l’Irlande, la chaussée des Géants est toute proche.

Avec moins de 2,5 nœuds sur l’eau, j’avance à 9,7 nœuds sur le fond : merci le courant !

La marina est extrêmement accueillante, bien équipée, avec un personnel très compétent et sympathique. J’en ai profité pour faire une lessive et un premier tour en ville.


Le lendemain, j’ai rempli un jerrycan de gazole et je me suis accordé une promenade le long du front de mer, bordé de belles maisons, avant de me remettre en route dans l’après-midi.



Infos pratiques
  • Ici, on est en Ulster (en Irlande du Nord, quoi), on paye en livres, mais il y a des distributeurs en ville ainsi que divers magasins pour faire du ravitaillement. 
  • Pour le carburant, il font signer un reçu où est spécifiée la répartition de l’usage prévu du carburant entre propulsion et chauffage. L’usage est de faire 60/40 ce qui met le litre de gazole à environ 1 livre.
  

De Bangor à Holyhead

Départ le samedi 12 août, arrivée le 13. 95 miles. Une nuit à la marina : 23,5 livres

Au départ de Bangor, j’ai trouvé un courant défavorable en sortant de la baie de Belfast ce qui m’a valu de faire du surplace pendant un certain temps devant le phare. J’ai réussi à m’extraire progressivement, puis j’ai bien navigué jusqu’à la nuit, laissant l’île de Man à bâbord. Le matin, les conditions se sont dégradées à l’approche des côtes du nord du pays de Galles.  

Extrait :
“Un parcours démarré dans des conditions plutôt clémentes et qui s’est terminé dans une brise assez soutenue et des grains.” 




Holyhead est un port de ferries (un des points d’accès à l’Irlande depuis le pays de Galles) abrité derrière une longue digue. L’endroit n’a pas grand intérêt à part d’être une halte commode sur cette côte qui ne compte pas beaucoup d’abris sûrs. La marina n’est pas aussi chic que celle de Bangor mais néanmoins bien équipée et accueillante.




Infos pratiques :
  • Il n’y a pas grand-chose autour de la marina et je n’ai pas exploré très loin, mais j’y ai trouvé un bon shipchandler.  Il y a aussi un café et un restaurant.
  • Je pense qu’il est possible de faire une promenade sur la Holyhead Mountain, le promontoire rocheux couvert de lande qui domine le port. 
  • En arrivant, il faut veiller à la VHF sur le canal 12 (ou 14 ?) pour le trafic commercial ; la marina répond sur le canal 37 (selon leur site, mais il me semble que l’employé m’a dit que c’était le 33).

De Holyhead à Porthdinlaen

Départ le dimanche 13 août, en fin de matinée, arrivée à Porthdinlaen à 23:00


Comme c’est dimanche, j’ai décidé d’avancer un peu mais en flânant pour profiter du beau soleil et du petit temps, une légère brise qui me permet d’avancer tout doucement à la voile. Je longe le trait de côte de la baie en me faisant aider du courant. Je m’amuse bien. Je laisse traîner ma ligne de pêche. En testant pour voir si j’ai un poisson, ma planchette flottante passe à l’eau. Je m’applique à faire ma manœuvre de récupération d’homme à la mer et rattrape ma ligne. Bien m’en a pris car un peu plus tard, je prends deux beaux maquereaux ! Voilà le menu du soir qui s’impose…


Extrait du journal de bord : “Des crêpes au petit-déjeuner, une belle navigation au soleil, un bonne pêche et me voilà au mouillage à Porthdinlaen, une jolie baie galloise.”






  
Mais à force de traîner, le soleil se couche et il fait noir quand je mouille sur ancre à distance de quelques bateaux dont je vois le feu de mouillage. Dans la nuit, j’entends des rires et de la musique qui viennent du pub du village. Moi j’ai débouché une bouteille de blanc pour savourer ma pêche.
   
Le lendemain matin, le soleil se lève sur ce qui s’avère être une jolie petite baie. Les autres bateaux sont sur bouées. Le vent qui était presque inexistant la veille est monté dans la nuit. Une fois de plus, il est trop fort et je suis trop loin pour débarquer en annexe. Une nouvelle occasion de me reposer, de lire et de faire des crêpes.
Le soir, alors que j’ai dîné, j’entends cogner à ma coque. C’est Mike, mon voisin de mouillage, qui est venu avec son annexe m’inviter à déguster sa collection de whiskies. Quelle bonne idée ! J’embarque dans son dinghy et nous rejoignons son bord : un magnifique voilier des années 1960 gréé en yawl. Il navigue avec ses deux fils adolescents, George et Henry. Très bons whiskies (écossais et irlandais, pour ne fâcher personne, de toute façon Mike est Gallois), très bonne soirée à discuter. Mike aurait voulu dérouiller un peu son français (il a passé un an en Bretagne avec la mère de George quand le garçon était tout jeune, il y a donc une quinzaine d’années et il en garde un très bon souvenir), mais nous avons fini en anglais, bien gais et un peu éméchés.



De Porthdinlaen à Fishguard

Départ le 15 août à 7:00, 60 miles, arrivée le même jour à 23:00


Le lever du soleil sur les collines au départ de Porthdinlaen.

Pour ne pas faire le trajet d’une traite jusqu’à Milford Haven, Mike m’a conseillé de m’arrêter au port de ferries de Fishguard, au sud du pays de Galles. Je suis parti à l’aube. Les rayons du soleil levant enflammaient les falaises. J’ai hissé les voiles et mis le cap vers le sud-ouest. La journée était belle, bien que fraîche et le vent maniable, même si son orientation m’obligeait encore une fois à faire du près.
J’ai passé la petite île de Bardsey, à la pointe de la péninsule de Llŷn, un peu avant midi. 
Il me restait à traverser la baie de Cardigan, qui est un zone d’exercices de tirs d’artillerie pour la Navy. Je suis d’ailleurs passé près des cibles flottantes. J’avais lu des récits de navigateurs qui ont été priés par radio de déguerpir de la zone. J’ai donc veillé attentivement à la VHF. Mais ce jour-là, pas d’activité militaire. Je suis passé sans encombre. 
En faisant mon meilleur près, je suis arrivé deux miles au nord de Fishguard alors que le soleil commençait à se coucher. Au moment de rouler mon génois, je me suis rendu compte que le bout d’enrouleur avait perdu des tours atour du tambour et j’ai entrepris de faire des tours sur moi-même au moteur pour enrouler la voile. D’abord sans succès… parce que je ne tournais pas dans le bon sens ! Un autre bateau qui était à l’approche à dû se demander ce que faisait ce voiler qui faisait la toupie, comme un chien courant après sa queue…
La nuit était tombée quand je me suis approché du port. Un gros ferry était à l’approche et je me suis écarté de son passage, en profitant pour préparer mon mouillage. Puis je suis entré dans son sillage et j’ai jeté l’ancre derrière la digue. Bien content car un nouveau coup de vent était annoncé pour le lendemain.
L’île de Bardsey.
Infos pratiques :
  • Je n’ai pas eu de problème pour traverser la zone de tir de la baie de Cardigan mais j’ai rencontré plus tard un équipage qui a dû attendre le week-end pour passer, car il y avait des exercices durant la semaine. On peut trouver les infos et les alertes sur le site de MOD Aberporth.
  • En cas de doute, il faut appeler “ABERPORTH MARINE CONTROL” sur le canal 16 ou 11 de la VHF.

 16 août  : encore une journée passée à l’ancre le temps que passe le coup de vent


Le lendemain, ça soufflait fort en effet et je me suis rapidement rendu compte que je ne pourrais pas débarquer avec mon annexe… ou plutôt, que je pouvais débarquer mais que je risquais de ne pas pouvoir regagner mon bord en ramant contre le vent. J’aurais pourtant aimé visiter ce petit port dont Mike m’avait vanté les mérites (même si d’autres rencontrés plus tard m’ont dit que c’était sans intérêt). 





Extrait du journal de bord “Quand on essaie de descendre vers le sud et que le vent s’obstine à rester au sud, ça donne une semaine à faire du près dans des brises parfois assez fortes. L’aérien de mon régulateur d’allure en a fait les frais.”


Heureusement, j’avais de quoi m’occuper car la veille, j’avais constaté que la pale de l’aérien de mon régulateur d’allure était cassée : à force de plier dans un sens et dans l’autre, l’aluminium avait cédé à la base. J’ai donc passé la plus grande partie de la journée à essayer de réparer avec les moyens du bord : j’ai découpé à la scie à main un bout de Plexiglas que j’ai ensuite percé avec un foret que je faisais tourner à la main. Après pas mal d’efforts, beaucoup de patience et quelques cals aux mains, je suis arrivé à un résultat presque satisfaisant.





Infos pratiques :
  • Fishguard n’a sans doute pas grand-chose à offrir en guise de tourisme, mais ça peut être une escale intéressante car il y a un supermarché Tesco en ville (d’après la carte)
  • Comme c’est un terminal de ferries (vers Rosslare en Irlande), la ville est desservie par le train. La ligne passe par Manchester et Cardiff.
  • Pour une raison qui m’échappe, je n’arrivais pas à capter le réseau 3G mais, quand un des ferries était à quai, j’arrivais à capter leur wi-fi, ce qui m’a permis de prendre la météo.

De Fishguard à Milford Haven

Départ le 17 août à 7:00, arrivée le lendemain à 3:00

Je me suis réveillé tôt pour partir à l’aube. Comme annoncé par la météo, le vent s’était calmé. J’ai commencé à lever l’ancre à 7 heures, mais j’avais toutes les peines du monde à la récupérer. Elle était prise dans un bout qui courait au fond. En m’aidant du winch en pied de mât, j’ai pu amener l’ancre en surface. Pas moyen de la dégager. J’ai dû couper le câblot qui la bloquait. Il n’y avait pas d’autre mouillage relié à ce bout et je n’ai donc mis personne en danger en le tranchant pour me libérer.
J’ai pu mettre cap au sud-ouest vers la pointe de Ramsey, à l’allure de près dans un vent de sud   encore assez soutenu. J’avançais bien et j’avais le courant avec moi. Je suis arrivé en vue de l’île de Ramsey, à la pointe de St David’s, vers midi. Malheureusement, c’était déjà la fin du courant portant. Je me suis dit que je passerais cet important cap de la côte du pays de Galles à l’étale, mais le courant s’est rapidement inversé avant que j’aie pu le franchir. Après avoir tenté en vain de m’aider au moteur, j’ai vite réalisé que je ne passerais pas. 
Les îlots Bishops and Clerks, vus d’un peu trop près.
Je n’avais pas osé couper par le Ramsey Sound, entre l’île de Ramsey et la côte, préférant passer par l’extérieur, entre Ramsey et les îlots de Bishops and Clerks. Autant vous faire profiter tout de suite de mon expérience : c’était une très mauvaise idée. Le courant était violent, les remous impressionnants, et les îlots rocheux beaucoup trop menaçants à mon goût. Après avoir follement essayé d’insister au moteur pendant plus d’une heure, j’ai finalement admis que je brûlais inutilement du gazole pour faire du surplace dans un endroit très peu recommandable. À la vue des brisants, la sagesse m’est venue d’un coup : j’ai fait demi-tour, perdant en un quart d’heure tout le chemin durement gagné.  
Ayant bien étudié la carte, une autre “bonne” idée m’est venue : puisque je ne pouvais pas passer, j’allais attendre bien sagement la renverse dans la jolie baie de Porth Melgan, sur la côte, juste au nord du Ramsey Sound. Avec cette fois le vent et le courant portants, j’y suis arrivé vite. Très vite, même… Pour m’apercevoir que les points que je prenais de loin pour des bouées de mouillage étaient, vus de près, des surfeurs qui profitaient de ces belles conditions de houle pour pratiquer leur sport. Définitivement pas un bon endroit pour mouiller.
Nouveau demi-tour. Sous voilure réduite, j’ai remis cap vers le large en essayant de ne pas trop perdre de terrain alors que je me faisais dépaler au nord par la marée. J’en étais quitte pour passer quelques heures à attendre que le courant redevienne favorable. 
Ainsi fut fait. Il était 19 heures quand j’ai pu finalement reprendre ma route et passé 20 heures quand j’ai fini de regagner le chemin perdu pour enfin passer ce cap. Le vent avait recommencé à bien fraîchir, entre 20 et 25 nœuds. Le soleil amorçait sa descente. Quant à moi, il me restait une trentaine de miles à parcourir, au près jusqu’à l’entrée de Milford. Et je commençais à me sentir bien fatigué.
Je n’avais pratiquement pas eu à me servir de mon régulateur, mais le vent avait malmené la nouvelle pale que j’avais bricolée. Ma réparation n’a pas tenu. Peu importe, je pouvais enfin mettre cap au sud, au près, allure à laquelle Sirius avance très bien tout seul, barre amarrée. Grâce au courant, j’avançais désormais à plus de 7 nœuds sur le fond. C’est ainsi que je suis arrivé au cap suivant, 20 miles plus tard, en début de nuit, salué par le phare de The Head, sur l’île de Slokholm. 
Je pouvais dès lors “tourner à gauche” (cap à l’est-sud-est), pour viser l’entrée du grand estuaire de Milford, distant encore d’une dizaine de miles, mais bien visible de loin grâce aux multiples feux et lumières qui marquent ce grand port industriel. La passe de l’est était recommandée par mon guide comme étant la plus calme par temps frais. Instruit par mon arrivée mouvementée aux îles d’Aran, j’ai suivi cet excellent conseil. Grâce à la cartographie électronique, je n’ai pas eu de problème à me retrouver dans tous ces feux d’approche. Il était passé minuit quand j’ai passé la bouée de Sheep Rock.
C’est là que j’ai eu la troisième “bonne” idée de cette longue étape. À ce stade, comme j’étais bien crevé et que j’étais en outre intimidé à l’idée d’entrer dans la rivière bordée d’installations pétrolières pour accéder à la marina inconnue de Milford Haven, je me suis dit que j’allais jeter l’ancre dans une petite baie réputée bien abritée dans mon guide. J’y passerais le reste de la nuit et me remettrais en route pour parcourir le dernier mile le lendemain matin.
Je me suis donc dirigé vers le mouillage de Dale Shelf.  En approchant, j’ai assez vite réalisé que le lieu serait moins calme que je l’avais espéré. Avec ce vent de sud, la houle pénétrait dans la baie. Mais j’étais tellement rincé que j’ai décidé de jeter l’ancre quand même, histoire de me reposer un peu. Une fois à l’ancre, je roulis m’a confirmé que je ne pourrais de toute façon pas dormir dans ces conditions. J’en ai quand même profité pour souffler. Je me suis fait une boisson chaude. Puis j’ai décidé de relever l’ancre pour me diriger vers la marina dans la nuit. J’ai commencé à remonter quelques mètres de câblot avec mes dernières forces. Ça m’a valu une bonne suée. J’ai bloqué le bout au taquet et je suis descendu dans le carré pour enlever ma veste de quart et boire une goutte d’eau. 
Et là, j’entends l’alarme de mon sondeur. Elle est programmée pour se déclencher quand j’ai moins de trois mètres de fond… et aussi souvent pour rien, perturbée par une algue ou des bulles. Je sors quand même la tête, par précaution. On est effectivement à trois mètres… des rochers ! Je saute dans le cockpit et démarre le moteur. Qui démarre immédiatement, sans préchauffage – il était encore chaud. Je mets les gaz à fond pour me sortir de là en croisant les doigts pour ne pas passer sur un rocher immergé. Le bateau se dégage en traînant le reste du mouillage encore à l’eau. Une fois à distance respectable de la côte, je finis de remonter l’ancre, le cœur encore battant. Que s’est-il passé ? En remontant partiellement le mouillage, avec cette houle, l’ancre a commencé à déraper et il n’a fallu que quelques minutes pour que je me retrouve poussé presque à la côte. L’alerte a été vraiment chaude. Je suis maintenant tout à fait éveillé. Et très motivé pour aller m’amarrer dans la sécurité de la marina.  
Je m’avance dans l’estuaire. De part et d’autre, des quais industriels où sont amarrés d’énormes navires. La lumière des bouées du chenal est brouillée par les éclairages multiples des installations portuaires. Le vent souffle fort et lève encore un méchant clapot malgré l’abri de la côte. Pour entrer dans la marina, il faut passer une écluse. Avec toutes ces aventures et ces contretemps, je ne sais pas où on en est de la marée. Il y a un ponton d’attente. S’y amarrer en attendant le matin pour y voir plus clair ? Non, décidément, le clapot le rend impraticable. Je m’avance dans l’écluse et me rends compte qu’elle est grand ouverte. Nous sommes à marée haute. Une chance ! Un employé de la marina qui veille la nuit me dirige via la VHF vers une place libre au ponton visiteurs.  Quand ce solide Gallois, un jeune type aux allures de bibendum, sanglé dans son ciré, me prend mes amarres, je suis tellement content et soulagé que je me retiens de l’embrasser sur ses deux joues rebondies. “Thank you, thank you”. Dodo. Enfin !



Infos pratiques : 
  • Il ne faut pas négliger les courants au passage des caps au pays de Galle. C’est comme en Manche. On passe avec eux ou pas du tout. Le magazine anglais Yachting Monthly a publié un article donnant tout un tas d’infos utiles sur le bon timing et le pilotage, précisément entre Fishguard et Milford. C’est signé par un marin local Jonty Pearce, dans le numéro de septembre 2017. Ça m’aurait bien aidé mais j'étais déjà rentré. Je vous en fais profiter.







 
18 août